Bilan d’étape
Au fur et à mesure que se multiplient les études de cas sur ce site, il apparaît nécessaire de clarifier cette expression de gestion des risques interculturels qui donne son nom au blog lui-même. Au moment du lancement de ce blog il y a deux ans, je l’avais rapidement définie selon le double mouvement d’ouverture (faire sortir le management interculturel du cadre restreint de l’accompagnement à l’expatriation) et de spécification (mettre en évidence la dimension stratégique du management interculturel).
Après deux années à défricher le terrain qui se découvre dans cette ouverture et cette spécification (voir l’index de tous les articles publiés), je voudrais à présent apporter une vision synthétique de ces différents enjeux à travers un récapitulatif des différents types de risques interculturels et de leur degré d’incidence sur l’entreprise et, dans un deuxième temps, la mise en place d’une échelle de la maturité des entreprises dans la gestion des risques interculturels.
Il faut préciser que les différences culturelles ne sont jamais ici considérées dans une dimension essentielle, comme si l’individu se résumait à son appartenance culturelle, et que l’attention portée sur les spécificités de chacun ne doit pas non plus aveugler sur les complémentarités : les hommes sont beaucoup plus semblables que différents. L’objectif reste toujours le même : faire en sorte que les opportunités de démultiplication des talents ne se transforment pas en menaces par manque de souplesse culturelle. Ce qu’il faut viser, c’est la formalisation d’une notion émergente appelée à un développement exponentiel du fait de la complexification croissante des interactions : l’intelligence culturelle.
Typologie des risques interculturels
La multiplicité des cas et situations rencontrés sur ce blog (voir les études de cas et la synthèse des problématiques de management interculturel) fait apparaître deux dimensions à partir desquelles il est possible d’organiser une typologie des risques interculturels:
- d’une part, la fréquence des défaillances interculturelles : si les malaises et conflits dus à une réticence ou incapacité à prendre en compte le facteur culturel sont quasiment le lot quotidien d’une multinationale, les échecs de négociation ou d’implantation du fait d’un impair culturel ou par négligence des facteurs culturels sont des événements plus rares,
- d’autre part, l’intensité de l’impact sur l’entreprise : certes, les conflits interculturels finissent avec le temps par éroder la coopération, et par suite à avoir une incidence sur les performances des équipes en cause et même sur les résultats de l’entreprise, mais ces difficultés sont sans commune mesure avec l’échec d’un partenariat stratégique ou avec un marché national qui se ferme à cause d’une mauvaise ou d’une non prise en compte des facteurs culturels.
Dans l’état actuel des réflexions initiées sur ce blog, voici donc comment l’on peut visualiser les différents types de risques interculturels :
- CONFLITS INTERCULTURELS
Le fait que cette catégorie se trouve basse sur l’intensité de l’impact sur l’entreprise ne signifie pas que son impact soit inexistant ni qu’il faille négliger sa prise en compte. Car en termes de risques interculturels, les conflits interculturels sont les plus fréquents. Ils sapent l’ambiance de travail et détruisent la cohésion d’équipe jusqu’à l’anéantissement de la communication et de la coopération.
La faiblesse apparente de l’impact sur l’entreprise doit être mise en relation avec le coût extrêmement élevé que représente sa fréquence.
- ECHECS D’EXPATRIATION
Ce type de risque interculturel est identifié en tant que tel dans la mesure où les deux premières causes de retour prématuré de mission consistent dans l’incapacité de l’expatrié à s’adapter à son nouvel environnement professionnel et dans l’incapacité de la famille de l’expatrié à s’adapter à son nouvel environnement culturel (cf. article sur le sujet). Ce type de risque est moins fréquent que le premier dans la mesure où un conflit interculturel n’entraîne pas forcément un échec d’expatriation – même si un échec d’expatriation a souvent pour cause un conflit interculturel.
Son impact est important sur l’entreprise qui doit faire face à un vide opérationnel suite au départ de l’expatrié, à la nécessité de trouver et former une nouvelle ressource et à la mémoire du négatif qui se développe auprès des équipes locales.
- PERTE DE TALENTS LOCAUX
Dans un contexte de pénurie des talents et de montée en puissance de nouveaux concurrents issus des pays émergents, l’entreprise multinationale ne peut pas se permettre un turn over élevé des hauts potentiels locaux à cause d’une incapacité à gérer le facteur culturel. Pour des raisons de coût et d’adaptation au contexte local, il est de plus en plus nécessaire de localiser le management via des transferts de savoir-faire, de compétences et d’autorité. Culture d’entreprise, culture métier et cultures nationales doivent être conciliées dans un équilibre difficile à trouver.
Mais ne pas rechercher cet équilibre ou tout simplement ne pas intégrer en amont cette recherche est un facteur de risque non seulement de perte de talents rares mais aussi de diffusion d’une mauvaise réputation de l’entreprise par ces talents locaux déçus par leur employeur étranger.
- PRODUIT/MARKETING INADAPTE
C’est là un saut vers le produit et la façon de valoriser ce produit. L’entreprise qui néglige la gestion des facteurs culturels sur le plan des ressources humaines aura-t-elle la même négligence sur le plan marketing ? Il est tout à fait probable que ce soit le cas mais les entreprises sont si tentaculaires et fonctionnent tellement en silos qu’elles peuvent dans certains cas être performantes sur le plan humain et catastrophiques sur le plan de l’approche du marché. Le cas d’école nous est donné par Renault. Suite à l’échec du rapprochement avec Volvo en 1993, échec notamment dû aux incompatibilités culturelles entre Français et Suédois, Renault a soigneusement préparé son alliance avec Nissan en 1999 en s’efforçant de créer des synergies culturelles entre Français et Japonais.
Or, ce succès n’a pas empêché Renault de connaître l’échec de son partenariat signé en 2005 avec Mahindra pour commercialiser la Logan en Inde. Parmi les raisons de cet échec figurent les facteurs culturels, notamment l’incapacité de Renault à “indianiser” la Logan et la campagne publicitaire qui la promouvait : voir Pourquoi Renault a échoué en Inde avec la Logan ?
- ECHECS DE NEGOCIATIONS
Il est souvent difficile de faire ressortir les impairs culturels qui ont présidé à l’échec d’une négociation dans la mesure où l’on préfère se focaliser lors du débriefing uniquement sur les aspects techniques et financiers qui ont posé problème et où – tout simplement – les impairs culturels ne sont souvent même pas perçus. Une négociation qui échoue pour des raisons culturelles est comme une rencontre amoureuse qui tourne mal sans qu’on sache pourquoi. Je vous renvoie ici à un cas d’échec de négociation dont l’enjeu est un contrat à 50 millions d’euros.
L’impact économique pour l’entreprise devient par ailleurs colossal si l’on remonte en amont vers la négligence des facteurs culturels à activer dans les stratégies d’influence et de lobbying visant à préparer des négociations de très vaste ampleur.
- ECHECS D’ALLIANCE/JV
Si ces échecs ne se réduisent pas aux seuls facteurs culturels, ils sont souvent déterminants dans de nombreux cas. Dans le secteur automobile où la dimension nationale des constructeurs est prépondérante, les échecs de l’alliance Renault/Volvo et du partenariat Renault/Mahindra sont là pour le rappeler. On peut ajouter à cette série l’échec en cours de l’alliance Volkswagen/Suzuki.
Ces deux derniers cas Renault/Mahindra et Volkswagen/Suzuki comportent les mêmes enjeux majeurs, à savoir le marché indien (Volkswagen pensait profiter du savoir-faire de Suzuki en matière de petits véhicules qui donnent au Japonais une position dominante en Inde sur ce segment).
- ECHECS D’IMPLANTATION
Comme on le voit avec l’exemple de Volkswagen, c’est indirectement son implantation en Inde qui est affectée par la rupture en cours de son alliance avec Suzuki. Dans un secteur bien différent, le fabricant de jouet Mattel a dû quitter la Chine en début d’année pour avoir négligé le fait que la poupée Barbie était une aberration culturelle pour les petites Chinoises. Idem pour la chaîne de bricolage et d’outillage Home Depot qui n’a pas pris en compte le fait qu’il n’y avait de culture du bricolage en Chine.
A contrario, il faut souligner l’exceptionnelle capacité du Coréen Samsung à intégrer les facteurs culturels dans la préparation de son implantation au Brésil.
Cette typologie a pour modeste vocation de dissiper le brouillard sur cette notion de risques interculturels. A présent que ses différents composants sont clarifiés, j’ai mis en ligne la 2e partie de cet article qui comporte une échelle pour mesurer le degré de maturité des organisations dans leur gestion des risques interculturels. Cette échelle comprend un curseur dont je commente les différentes positions. Voici un avant-goût de l’échelle en question :
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